jeudi 7 avril 2016

Vigneron, critique et consommateur, amis des vins ou trio infernal?

Pour que vous puissiez vous régaler de votre cuvée préférée, on a besoin des trois. Sans vigneron, rien à boire. Sans consommateur, le vigneron ne survivra pas longtemps. Et sans critique, plusieurs consommateurs ne sauront pas quoi acheter, ils risquent de toujours boire la même chose ou de changer pour d’autres boissons après trop de mauvaises expériences. Bref, les critiques sont utiles et pour les consommateurs et pour les vignerons.

Pourtant, cette semaine, les couteaux ont volé bas. Cela a commencé par un célèbre œnologue bordelais qui a lancé des anathèmes aux journalistes et on a continué avec un journaliste québécois qui s’est fâché contre un vigneron qui avait refusé de le recevoir. Qui a raison?

Commençons par reconnaître que la difficulté des rapports entre producteurs et critiques n’est pas l’apanage du monde du vin. Que ce soit en cinéma, en littérature ou en cuisine, on entend rarement se plaindre des bonnes critiques, mais les propos négatifs font souvent des vagues. On voit des cinéastes refuser d’inviter aux premières les critiques dont les propos leur déplaisent, comme l’a fait le vigneron mentionné plus haut.

J’ajouterais que le travail et l’engagement du vigneron sont sans commune mesure avec ceux du journaliste. Il faut plusieurs années d’efforts pour faire pousser une vigne, une année complète de travail pour mener du raisin à maturité, le récolter et le transformer en vin. Ce sont d’énormes investissements en temps et en argent et il est certainement vexant de voir le tout remis en question par quelqu’un qui a passé quelques minutes à déguster un verre. De plus, le vigneron n’a pas le contrôle sur la chaîne de distribution et les problèmes de transport, d’entreposage ou de bouchon peuvent facilement ruiner des bouteilles d’une très bonne cuvée.

C’est pourquoi plusieurs critiques, dont je suis, préfèrent publier seulement leurs coups de cœur. Lorsqu’un vin n’est pas dans mes goûts mais ne présente pas de réel défaut, je vais le mentionner en précisant à quelle clientèle il s’adresse, par exemple les amateurs de vins fortement boisés ou ceux qui recherchent des cuvées au profil très original. Au contraire, certains critiques comme Patrick Désy ou Marc André Gagnon (du site VinQuébec) n’hésitent pas publier leurs critiques négatives car ce sont les reflets de leur expérience de dégustation et c’est un point de vue qui se défend tout aussi bien.

Là où j’ai un problème, c’est quand de part ou d’autre, on dérape vers le manque de respect de son interlocuteur. Les vignerons sont responsables de leur vin, c’est leur argent qui est en jeu et les journalistes n’ont pas à mépriser leurs méthodes ou à dicter leurs choix de culture, de vinification ou de style. Par contre, ils ont tout à fait le droit de dire que telle cuvée est trop boisée ou que les tanins sont particulièrement rêches, pour ne citer que deux exemples assez courants. Inversement, un vigneron peut ne pas être d’accord avec une critique, mais cela ne lui donne pas le droit de traiter son auteur de crétin. En même temps, il faut aussi être tolérant et reconnaître que bien des gens sont susceptibles de se mettre en colère et de déraper dans leurs propos.

Ceci dit, revenons aux deux cas du début. Michel Rolland a tenu des propos malpolis et brutaux mais en les adressant à l’ensemble des journalistes, il n’a pointé personne du doigt. Dans ce cas-ci, l’écart entre les deux professions vient essentiellement du malaise des journalistes vis-à-vis des prix pratiqués par les grands châteaux bordelais, mais ceux-ci sont reliés à un déséquilibre entre l’offre et la demande. En critiquant sur les prix (qui, soit dit en passant, ne sont pas encore connus, mais comme le millésime est excellent, tout le monde s’attend à ce qu’ils soient élevés) ou en lançant des comparaisons avec des vins non classés qui ne souffrent pas d’une demande excessive, plusieurs journalistes ont évité de dire que les grands crus 2015 étaient très bons. La tempête est maintenant en voie de se calmer et comme le publie aujourd’hui le magazine Terre de vins, à l’origine de la controverse, «Les mots passent, les millésimes restent. C’est la magie des bordeaux.»

Dans le cas de Patrick Désy, on m’a fait remarquer qu’un vigneron a le droit de ne pas recevoir un critique, ce qui est parfaitement vrai. Le problème est dans sa justification. S’il avait écrit par exemple, je ne vous reçois pas car vous êtes noir, tout le monde aurait crié en cœur au racisme. Il n’a pas tenu de tels propos, mais il s’est justifié en des termes méprisants sur les vins que Patrick recommande dans ses chroniques, ce qui est tout aussi méprisant pour le travail du chroniqueur. Comme le souligne très bien Patrick, cette vision stupide et bornée est hélas assez répandue dans le monde des vins dits nature où, s’il est très bien vu de dire que telle cuvée non nature (mais appréciée par plusieurs critiques et plusieurs milliers de buveurs) est dégueulasse, il est totalement tabou d’écrire que certaines de leurs bouteilles sans intrant sont tellement contaminées par les bretts (ou un autre problème) qu’elles sont imbuvables. Le vin est un (dur) travail d’artisan et non une idéologie.

De mon côté, je vais continuer à vous faire part des vins que j’apprécie et aussi de ceux que je pense que vous pourriez aimer, même s’ils ne sont pas dans mon profil de goût personnel. Je ne fais aucune sélection selon les techniques de production, mais la fiche du vin mentionne lorsque le vin est bio, biodynamique ou nature.

Si vous n’êtes pas d’accord avec mes propos, la fonction commentaire est disponible plus bas pour vous permettre de vous exprimer. Avis : les commentaires sont approuvés par un modérateur qui vous permet de me contredire (comme disait mon père, comment peux-tu savoir si tu as raison si personne ne te contredit?) mais élimine totalement les spams, les trolls ainsi que les insultes, les propos racistes ou autres insanités.

À la bonne vôtre !

Alain P.

P.S. Un exemple de vision différente et tout à fait défendable : Des critiques qui critiquent!

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