Pour que
vous puissiez vous régaler de votre cuvée préférée, on a besoin des trois. Sans
vigneron, rien à boire. Sans consommateur, le vigneron ne survivra pas
longtemps. Et sans critique, plusieurs consommateurs ne sauront pas quoi
acheter, ils risquent de toujours boire la même chose ou de changer pour d’autres
boissons après trop de mauvaises expériences. Bref, les critiques sont utiles
et pour les consommateurs et pour les vignerons.
Pourtant,
cette semaine, les couteaux ont volé bas. Cela a commencé par un célèbre œnologue bordelais qui a lancé des anathèmes aux journalistes et on a continué avec un journaliste québécois qui s’est fâché contre un vigneron qui avait refusé de le
recevoir. Qui a raison?
Commençons
par reconnaître que la difficulté des rapports entre producteurs et critiques n’est
pas l’apanage du monde du vin. Que ce soit en cinéma, en littérature ou en
cuisine, on entend rarement se plaindre des bonnes critiques, mais les propos
négatifs font souvent des vagues. On voit des cinéastes refuser d’inviter aux
premières les critiques dont les propos leur déplaisent, comme l’a fait le
vigneron mentionné plus haut.
J’ajouterais que le travail et l’engagement du vigneron sont sans commune mesure avec ceux
du journaliste. Il faut plusieurs années d’efforts pour faire pousser une
vigne, une année complète de travail pour mener du raisin à maturité, le
récolter et le transformer en vin. Ce sont d’énormes investissements en temps
et en argent et il est certainement vexant de voir le tout remis en question
par quelqu’un qui a passé quelques minutes à déguster un verre. De plus, le
vigneron n’a pas le contrôle sur la chaîne de distribution et les problèmes de
transport, d’entreposage ou de bouchon peuvent facilement ruiner des bouteilles
d’une très bonne cuvée.
C’est
pourquoi plusieurs critiques, dont je suis, préfèrent publier seulement leurs
coups de cœur. Lorsqu’un vin n’est pas dans mes goûts mais ne présente pas de
réel défaut, je vais le mentionner en précisant à quelle clientèle il s’adresse,
par exemple les amateurs de vins fortement boisés ou ceux qui recherchent des
cuvées au profil très original. Au contraire, certains critiques comme Patrick Désy
ou Marc André Gagnon (du site VinQuébec) n’hésitent pas publier leurs critiques
négatives car ce sont les reflets de leur expérience de dégustation et c’est un
point de vue qui se défend tout aussi bien.
Là où j’ai
un problème, c’est quand de part ou d’autre, on dérape vers le manque de
respect de son interlocuteur. Les vignerons sont responsables de leur vin, c’est
leur argent qui est en jeu et les journalistes n’ont pas à mépriser leurs
méthodes ou à dicter leurs choix de culture, de vinification ou de style. Par
contre, ils ont tout à fait le droit de dire que telle cuvée est trop boisée ou
que les tanins sont particulièrement rêches, pour ne citer que deux exemples
assez courants. Inversement, un vigneron peut ne pas être d’accord avec une
critique, mais cela ne lui donne pas le droit de traiter son auteur de crétin.
En même temps, il faut aussi être tolérant et reconnaître que bien des gens
sont susceptibles de se mettre en colère et de déraper dans leurs propos.
Ceci dit,
revenons aux deux cas du début. Michel Rolland a tenu des propos malpolis et
brutaux mais en les adressant à l’ensemble des journalistes, il n’a pointé
personne du doigt. Dans ce cas-ci, l’écart entre les deux professions vient essentiellement
du malaise des journalistes vis-à-vis des prix pratiqués par les grands
châteaux bordelais, mais ceux-ci sont reliés à un déséquilibre entre l’offre et
la demande. En critiquant sur les prix (qui, soit dit en passant, ne sont pas
encore connus, mais comme le millésime est excellent, tout le monde s’attend à
ce qu’ils soient élevés) ou en lançant des comparaisons avec des vins non
classés qui ne souffrent pas d’une demande excessive, plusieurs journalistes
ont évité de dire que les grands crus 2015 étaient très bons. La tempête est
maintenant en voie de se calmer et comme le publie aujourd’hui le magazine Terre de vins, à l’origine de la controverse, «Les mots passent, les millésimes
restent. C’est la magie des bordeaux.»
Dans le cas
de Patrick Désy, on m’a fait remarquer qu’un vigneron a le droit de ne pas
recevoir un critique, ce qui est parfaitement vrai. Le problème est dans sa
justification. S’il avait écrit par exemple, je ne vous reçois pas car vous
êtes noir, tout le monde aurait crié en cœur au racisme. Il n’a pas tenu de tels
propos, mais il s’est justifié en des termes méprisants sur les vins que Patrick
recommande dans ses chroniques, ce qui est tout aussi méprisant pour le travail
du chroniqueur. Comme le souligne très bien Patrick, cette vision stupide et
bornée est hélas assez répandue dans le monde des vins dits nature où, s’il est
très bien vu de dire que telle cuvée non nature (mais appréciée par plusieurs
critiques et plusieurs milliers de buveurs) est dégueulasse, il est totalement tabou
d’écrire que certaines de leurs bouteilles sans intrant sont tellement
contaminées par les bretts (ou un autre problème) qu’elles sont imbuvables. Le
vin est un (dur) travail d’artisan et non une idéologie.
De mon
côté, je vais continuer à vous faire part des vins que j’apprécie et aussi de
ceux que je pense que vous pourriez aimer, même s’ils ne sont pas dans mon
profil de goût personnel. Je ne fais aucune sélection selon les techniques de
production, mais la fiche du vin mentionne lorsque le vin est bio, biodynamique
ou nature.
Si vous n’êtes
pas d’accord avec mes propos, la fonction commentaire est disponible plus bas pour
vous permettre de vous exprimer. Avis : les commentaires sont approuvés
par un modérateur qui vous permet de me contredire (comme disait mon père, comment
peux-tu savoir si tu as raison si personne ne te contredit?) mais élimine
totalement les spams, les trolls ainsi que les insultes, les propos racistes ou
autres insanités.
À la bonne
vôtre !
Alain P.
P.S. Un exemple de vision différente et tout à fait défendable : Des critiques qui critiquent!
<<
Article précédent – Vins et billets les plus populaires de mars 2016
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreEffacerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
Effacer