Oui, le nom
actuel sur l’étiquette est Petrus et non Château Petrus. En effet,
l’utilisation du mot château implique que la vinification est réalisée sur la
propriété (plus de détail dans le billet : Pourquoi château dans les noms de vin?). Or, ce ne fut pas le cas durant de nombreuses années. Depuis 2014, le
prestigieux vignoble dispose d’un nouveau chai, qu’on peut découvrir dans ce reportage du magazine Terre de Vins. Mais la marque est maintenant bien établie
sous le nom Petrus, sans accent, donc pas de changement en vue.
Photo Flickr par Andrew Phillips Licence Creative Commons 2.0 |
Par contre,
si vous trouvez de très vieilles étiquettes, vous y verrez le nom Château Pétrus
(avec un accent) et la mention Mis en bouteille au Château. C’était du temps où
la famille Arnaud était propriétaire de ce vignoble de Pomerol et exploitait la
Société Civile du Château Pétrus. Elle y produisait du bon vin, reconnu par des
médailles d’or aux Expositions universelles de Paris en 1878 et 1889. De quoi
faire de bonnes ventes, mais rien pour concurrencer les grands crus classés du
Médoc ou de Saint-Émilion.
Aujourd’hui
Petrus est un des vins les plus recherchés de la planète, et donc un des plus
chers. En même temps, il cultive son propre mystère – un bon exemple, pas de
site Web sur petrus.com, même si le domaine est bien la propriété de l’entreprise puisqu’utilisé pour les adresses de courriel des employés – d’où de nombreuses
erreurs et imprécisions qu’on peut lire ou entendre à son sujet. Quelle est
donc l’histoire derrière cet extraordinaire succès de marketing qui doit tout à
une femme, pourtant étrangère au monde du vin?
Edmond
Loubat et son épouse Marie-Louise étaient propriétaires d’une auberge à
Libourne, non loin de Pomerol. Marie Louise détecte le potentiel du vignoble Château
Pétrus, en achète des parts puis en devient propriétaire en 1945. Le bas des
étiquettes indiquera alors : Mme Edmond Loubat, propriétaire à Pomerol. À
cette époque, les femmes portaient le nom et le prénom de leur mari, d’où la
confusion de certains articles qui parlent d’Edmonde Loubat.
La nouvelle
propriétaire ne manque pas de culot et se lance à l’assaut de la famille royale
britannique. Elle réussit à placer ses bouteilles sur les tables du mariage de
la future reine Élizabeth, qui apprécie assez ses cuvées pour l’inviter ensuite
à son couronnement. En même temps, la très efficace Marie-Louise s’associe avec
le négociant bordelais Jean-Pierre Moueix pour l’exploitation du vignoble et
les ventes. Celui-ci fera du cru de Pomerol le vin favori de la famille Kennedy
et du jet-set mondial, permettant ainsi à la marque Petrus de surpasser les
grands crus classés des appellations voisines.
Photo by Benjamin Zingg, Switzerland (Own work) [CC BY-SA 2.5], via Wikimedia Commons |
Mme Loubat n’ayant
pas d’enfant, à son décès en 1961 ses héritiers sont un neveu et une nièce. Le
reste de l’histoire sera jalonné de tordage de bras, de coups de force et de
nombreux procès. Après avoir perdu une poursuite contre sa cousine, le neveu vend
rapidement ses parts à Jean-Pierre Moueix, qui devient ainsi propriétaire de la
moitié de Petrus. La nièce, Lily Lacoste, lui revendra les siennes quelques
années plus tard, mais aura la sagesse d’en garder l’usufruit, ce qui lui
permettra d’accumuler une fortune estimée à 60 millions d’euros en 2001. Elle
se montrera généreuse pour son entourage, au grand dam des descendants de son
cousin, qui voient les perspectives d’héritage fondre. Après une longue
guérilla judiciaire, ils réussiront à la faire placer sous tutelle alors qu’elle
a 98 ans, mais le juge leur refusera sagement la gérance du magot. Lily meurt
en 2006 à 99 ans et le procès se termine en 2010 par un non-lieu.
On remarque
que le site de la SAQ désigne encore Mme Lily Lacoste comme propriétaire de
Petrus alors qu’elle a vendu ses parts il y a plus de 30 ans et qu’elle est
décédée depuis 10 ans. Le propriétaire actuel est Jean François Moueix, un des
fils de Jean-Pierre.
Quant à l’origine
du nom Petrus, deux versions s’affrontent. Selon certains c’est le nom du
lieu-dit où se trouvent les vignes, alors que pour d’autres, c’est la famille
Arnaud qui baptisera le vignoble en l’honneur de l’apôtre Pierre, Petrus en
latin.
Mais au-delà
des anecdotes, des questions de gros sous et des affaires judiciaires, Petrus,
c’est avant tout du vin, dont nous allons vous parler dans un autre billet.
À la bonne
vôtre !
Alain P.
Pour
poursuivre votre lecture historique si le sujet vous passionne :
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